Pourquoi la sobriété dans la consommation n’est pas un gros mot ?
Découvrez comment l’économie circulaire et la sobriété sont de nouveaux modèles de valeurs clés pour ré-inventer la consommation et le bonheur au 21ème siècle.
Pour 4 Français sur 5, la crise climatique nous oblige à revoir nos modes de vie et de consommation. C’est le constat dressé par le baromètre 2024 de la consommation responsable de Greenflex et de l’ADEME, mettant en lumière l’urgence de quitter le modèle économique linéaire – produire, consommer, jeter – dans lequel nous vivons au profit d’une économie plus sobre et circulaire. Mais comment transformer un système profondément enraciné tout en répondant aux crises multiples qui fracturent la société ?
Dans l’épisode 26 du podcast En Toute Transparence, David Garbous, fondateur de Transformation Positive et de l’écosystème Réussir Avec Un Marketing Responsable, a reçu Valérie Martin, Cheffe du service Mobilisation Citoyenne et Médias de l’ADEME, partenaire fondateur du collectif. Ensemble, ils ont mis en lumière les défis et les opportunités liés à ces changements de manières de consommer.
Pourquoi l’économie linéaire doit évoluer vers des modèles plus sobres
L’économie linéaire, qui repose sur une exploitation sans fin des ressources naturelles, est incompatible avec les limites planétaires. Ce modèle, fondé sur la production en volume, a aujourd’hui atteint ses limites face à la raréfaction des ressources et aux impacts environnementaux massifs.
Ce qui est en jeu dépasse une simple transformation des habitudes d’achat. C’est une réinvention complète de nos systèmes économiques et culturels. La sobriété, définie par l’ADEME comme une recherche de « moins » (réduction des biens consommés) et de « mieux » (amélioration de la qualité de vie), devient un pilier de cette transformation. Ce double objectif constitue une opportunité de construire un nouveau modèle, compatible avec les limites de la planète et centré sur la qualité de vie plutôt que sur l’accumulation matérielle.
L’incroyable opportunité de l’économie circulaire
Face à ces enjeux, l’économie circulaire offre une alternative crédible. Ce modèle propose de repenser nos systèmes en fermant les boucles : éco-conception, réduction des déchets, réutilisation des matériaux, partage des ressources. Des initiatives concrètes illustrent ce modèle :
- Yes Yes, entreprise française spécialisée dans le reconditionnement de produits high-tech, incarne parfaitement cette démarche en leur offrant une seconde vie. En garantissant leur qualité et leurs performances, elle redéfinit les standards du reconditionné, avec pour ambition d’offrir aux clients une expérience résolument positive.
- Fnac Darty, à travers son offre Seconde Vie, permet de revaloriser les retours clients, accidents de transports, de manutention… sans passer par la case “jeter”. Proposée en parallèle de l’offre neuve en magasin, cette initiative d’occasion respecte les mêmes standards élevés de qualité, de confiance et de service du groupe.
Parmi les pratiques phares de cette économie, l’économie de la fonctionnalité et de la coopération émerge comme une solution inspirante. Elle repose sur une logique où l’usage prime sur la possession : louer plutôt qu’acheter, réparer plutôt que jeter. L’exemple d’Hipli illustre bien cette démarche. En proposant des colis réutilisables pouvant effectuer jusqu’à 100 cycles, cette entreprise révolutionne le secteur de l’emballage en ligne en réduisant drastiquement les déchets et en privilégiant une approche axée sur l’usage.
Mais si les citoyens se mobilisent de plus en plus, le passage à l’action reste long et difficile. Nos comportements sont profondément enracinés dans une culture de l’abondance et du « tout, tout de suite ». L’enjeu aujourd’hui est d’accélérer cette transition à une vitesse compatible avec l’urgence climatique. Cela nécessite une mobilisation de tous : citoyens, entreprises et États.
Le rôle des entreprises : réinventer la consommation
Les entreprises occupent une place centrale dans cette transition. Face à la pression sociétale – dénonciations de greenwashing, nouvelles exigences réglementaires comme la loi AGEC1 ou les directives européennes (Green Claims2, CSRD3) – elles sont poussées à repenser leur rapport avec les citoyens.
Pourtant, les marques peinent à convaincre. Selon le baromètre Greenflex et ADEME, leurs prises de parole sont encore largement perçues comme des incitations à une (sur)consommation de produits peu durables. Alors, comment réconcilier communication commerciale et durabilité ?
Trois principes doivent guider cette transformation :
1. Transparence : dire ce qui est fait, mais aussi ce qui reste à faire.
2. Humilité : Ne pas prétendre qu’on va sauver le monde avec son produit, mais présenter son innovation en racontant une vraie histoire, et pas juste une belle histoire.
3. Preuves : s’appuyer sur des actions concrètes et mesurables pour illustrer son discours.
Le marketing de la sobriété : un levier pour changer les imaginaires
Le marketing peut être ici un outil d’évolution majeur pour influencer les comportements et les aspirations à travers les offres, mais aussi les récits. C’est dans ce cadre qu’émerge le concept de marketing de la sobriété. Ce nouveau paradigme invite à repenser nos besoins. L’objectif ? Faire de la sobriété un choix séduisant et inspirant, plutôt qu’un renoncement contraint.
Cela implique de repenser les codes habituels de la communication :
- Créer des campagnes qui valorisent l’essentiel et l’usage durable plutôt que l’accumulation.
- Mettre en avant des récits positifs où consommer moins devient synonyme de vivre mieux.
- Impliquer les consommateurs dans une démarche collective et participative.
Un exemple emblématique est la campagne du « Se poser les bonnes questions avant d’acheter » de l’ADEME. Cette initiative propose un récit à contre-courant des incitations classiques à la consommation. Elle valorise une sobriété choisie, non subie, et rend cette démarche désirable en la transformant en une nouvelle forme de consommation.
Deux autres exemples de campagnes réussies se sont illustrés dans le secteur électronique, un secteur particulièrement consommateur de ressources. Pour cause, la production d’un smartphone nécessite par exemple l’extraction de près de 70 métaux différents (ADEME) – ce qui entraîne la destruction des écosystèmes, la pollution des eaux, des sols et de l’air.
Pour contrer ces modes de production extractivistes, des acteurs pionniers comme Back Market ont pris le contre-pied des modèles traditionnels. En démocratisant l’usage des produits reconditionnés et en luttant contre l’obsolescence programmée, cette licorne française a su imposer la sobriété comme un choix moderne et engagé. Grâce à une communication audacieuse et engagée, Back Market est ainsi parvenu à donner un nouvel élan au marché du reconditionné, prouvant qu’un modèle économique basé sur la sobriété peut aussi être attractif et innovant.
Des entreprises comme Back Market ont permis d’ouvrir la voie à des pratiques alternatives, et même à inspirer les poids lourds des industries traditionnelles. L’exemple d’Orange en témoigne parfaitement. À travers son Programme Re récompensé en 2021 par le collectif Réussir Avec Un Marketing Responsable, l’entreprise a non seulement intégré le reconditionné à son offre, mais l’a également porté sur le devant de la scène avec une campagne publicitaire diffusée à Noël – un moment symbolique de la surconsommation.
Cette initiative dépasse la simple stratégie commerciale : elle envoie un message fort à l’ensemble du secteur. En valorisant le reconditionné pendant une période si emblématique, Orange montre que des pratiques plus responsables peuvent non seulement s’inscrire dans le grand marché, mais aussi séduire massivement les consommateurs. Ce succès souligne que les idées issues de démarches alternatives ne sont plus l’apanage des petits acteurs, mais deviennent des piliers d’un changement global dans les imaginaires et les comportements.
Sobriété et neutralité carbone : un défi à relever ensemble
La sobriété, à l’inverse de ceux qui l’envisagent comme une contrainte, est une opportunité de réinterroger nos priorités. Elle nous pousse à distinguer ce qui est nécessaire de ce qui est superflu, et à construire des modes de vie remplis de sens où on accède à d’autres formes de bonheur que celles promises par la simple consommation, et compatibles avec l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050.
Mais pour que ce modèle s’impose, il ne peut être porté par les citoyens seuls. Les entreprises et les pouvoirs publics ont une responsabilité majeure : offrir des alternatives accessibles et crédibles, et encourager une coopération à l’échelle de toute la chaîne de valeur, un sujet que nous avons par exemple déjà traité d’un point de vue de la relation entre l'industrie et le commerce.
En somme, accompagner les changements des nouveaux modèles de consommation demande bien plus qu’un ajustement technique. Cela nécessite une refonte de nos imaginaires collectifs et la création de nouveaux modèles de valeur, où sobriété et durabilité sont perçues comme des leviers d’un avenir désirable.
→ Pour approfondir le sujet, nous vous invitons à aller écouter l’épisode 26 avec Valérie Martin Cheffe du service Mobilisation Citoyenne et Médias de l’ADEME du podcast En Toute Transparence, disponible sur toutes les plateformes de streaming ici.